Lettre à Montréal, une île où me réfugier
Trois jours après mon départ, je me réveille à 4 h du matin, le cœur un peu trop serré. J'ai quitté Montréal et j'avais besoin d'écrire une lettre, à cette ville que j'ai tant aimé.
Je crois que j’ai sous-estimé la place que tu avais dans ma vie.
Je pestais contre tes hivers trop froids, ta pluie printanière qui retardait mes sorties dans les parcs, tes taxes qui s’ajoutent à chaque prix et tes aliments souvent trop gras. Je criais à qui voulait l’entendre que le monde est grand et que moi, j’avais besoin d’aller voir ailleurs. Que ton immigration rendait mon séjour entre tes bras impossible à prolonger et qu’après tout, c’était tant mieux. Le jour où j’ai pris cette décision, j’étais sûre de moi. J’avais le sentiment d’avoir fait le tour, qu’il était l’heure pour moi de tirer ma révérence. Et puis, Montréal, comme tu sais si bien le faire, tu m’as montré ta magie. Et tu as rendu mon départ plus difficile qu’il n’était censé l’être.
Voilà trois jours que je t’ai quittée, et j’ai conscience que dans un processus de laisser-aller, je dois coucher des mots sur le papier. Pour moi — pour garder en mémoire ces émotions si puissantes — et pour les autres : pour que mes proches comprennent. Que ceux qui l’ont vécu se rappellent. Que ceux qui le vivront, en aient conscience. Des mots qui rassemblent.
Deux ans et trois mois, c’est rien à l’échelle d’une vie
Je suis arrivée à la fin de l’hiver 2023, le 14 mars. Il neigeait le jour où mon avion a atterri à YUL, et alors qu’Élise me conduisait jusqu’au centre — jusqu’au fameux Plateau, quartier de prédilection des Français d’ici — je regardais la ville se dévoiler par la fenêtre. Elle me paraissait immense, si différente de Paris. Je n’arrivais pas à croire que j’étais là, et pourtant, je l’avais fait. J’avais quitté un job au titre prometteur, un appartement dans lequel je me sentais bien, une ville que j’appelais ma maison1. Je partais pour la première fois vivre dans un autre pays, loin de mes parents, de mes amis, de tout ce qui faisait ma vie. Les premières semaines à Montréal, la nuit, je rêvais des rues parisiennes. Je me voyais sur mon vélo, me rendre d’un bout à l’autre de la ville. Je ne pouvais m’empêcher de me demander ce que faisaient mes amis, de penser à ces lieux dans lesquels je n’irais plus les retrouver, mais que j’avais tant aimé fréquenter. Jusqu’au jour où le temps a fait son affaire. Petit à petit, je me suis ouverte à toi, Montréal.
J’ai été séduite par les dessins colorés de tes rues, dans lesquelles j’ai tant aimé me perdre. J’ai trouvé dans ton Mont Royal un abri où me rendre chaque fois que le besoin s’en faisait sentir — pour penser, pour me recentrer. J’ai appris à vivre au rythme des saisons, à apprécier la lenteur qu’impose l’hiver et la ferveur de tes étés. Par la fenêtre du café ou de mon appartement, j’ai observé la pluie et la neige recouvrir les rues, nous invitant à la contemplation. Tes couchers de soleil dont les couleurs flamboyantes m’ont enveloppée à de nombreuses reprises. En les observant, je me rappelais que chaque soir, il disparaît, avant de revenir illuminer nos journées : tout finit toujours par rentrer dans l’ordre. Il suffit juste d’être patient.
J’ai sans doute appris la patience dans tes rues. Avec tes feux rouges, où une longue file de personnes attend dans l’ordre au passage piéton, me faisant doucement oublier le chaos parisien. Parce que c’est ce que tu es, Montréal : une ville douce, qui nous pousse à ralentir. Le quotidien est devenu moins bruyant. Les boulevards parisiens ont été échangés contre des ruelles fleuries, bordées de maisons tout droit sorties d’une comédie romantique. Le béton s’est transformé en un parc verdoyant, dans lequel se retrouver pour une marche, une pétanque ou un pique-nique. Et petit à petit, cette douceur s’empare de nous. Elle nous pousse à ne plus courir après un métro, une place en terrasse ou un rendez-vous manqué, mais à embrasser l’instant, la spontanéité et l’inattendu.
Deux ans et trois mois, c’est rien à l’échelle d’une vie. C’est peut-être pour ça que je perçois des regards interloqués, lorsque je parle de deuil à faire, ou de difficulté à fermer ce chapitre. Néanmoins, je crois qu’il faut s’être expatrié au moins une fois pour réellement comprendre ce qui se joue. Moi-même, quand on m’en parlait, je ne réalisais pas — et puis maintenant, je sais. Ailleurs, tout est mille fois plus intense. Il ne s’agit pas seulement de rues, de parcs, de rencontres ou de rires. Il s’agit d’une vie que l’on construit, une étape à la fois, jusqu’à en faire une jolie maison, colorée, chaleureuse, où la porte est toujours ouverte.
Une maison parfaitement imparfaite
Jour après jour, j’ai construit ici ma maison. Elle est un peu bancale, le sol n’est pas très droit. Il y a des photos sur les murs, des plaids sur le canapé et la cuisine toujours remplie. On enlève ses chaussures en rentrant, et on est accueilli par l’odeur du café frais et des pancakes tout juste préparés. Les pièces sont sans doute trop petites pour le nombre d’invités, mais on s’installe les uns contre les autres, sur le sol s’il le faut — pourvu qu’on soit ensemble.
Dans cette maison, les habitants sont tous différents. À Paris, j’avais autour de moi des personnes qui me ressemblaient : qui travaillaient dans les médias ou dans la communication. Il y avait aussi des amis de longue date, qui m’avaient vue grandir. À Montréal, la magie a opéré différemment. Les rencontres ne sont plus seulement professionnelles : elles surgissent là où on ne s’y attend pas. Dans une auberge de jeunesse, à une soirée où tu ne connais pas l’hôte, dans l’ambiance tamisée d’un bar, à travers l’amie d’une amie d’amie, ou le nouveau colocataire d’une connaissance. Au milieu de cette ville qui paraît immense, on finit tous par se retrouver, donnant à notre quotidien des airs de village de vacances.
Et comme une semaine de vacances au Mexique, le temps est compté — et tout doit être vécu. C’est ainsi que des liens de quelques mois transforment ton quotidien, au point de devenir presque impossibles à quitter. On vit nos émotions à vif. On se retrouve chaque jour après le travail. Parfois, on travaille même ensemble.
Et ensemble, on se construit une maison colorée, dont la porte ouverte laisse une place à quiconque voudrait rejoindre cette aventure folle, belle, loufoque. Vivante.
Montréal, ta folie douce
Il est 4 h du matin en France, et je me demande comment il va. S’il pense à moi. Je me demande où elles sont. Je jette un coup d’œil à mon téléphone, je lis des messages et comprends que l’orage a changé leurs plans, les obligeant à se réfugier dans un bar alors qu’elles allaient au festival de Jazz. Il y a quelques semaines, j’étais avec elles, quand la pluie nous a surprises, juste avant un concert du festival des Francos. Ici comme là-bas, la vie continue.
Dans mon insomnie, je me questionne. Je doute. Ai-je bien fait ? N’était-ce qu’un caprice ? Comment savoir ? Comment avancer ?
Cela ne fait que trois jours. Et si ton hiver interminable m’a bien appris quelque chose, Montréal, c’est de garder espoir. D’apprendre à vivre avec douceur. À patienter. Le brouillard finira par s’estomper. Les souvenirs ne me réveilleront plus à 4 h du matin avec le cœur qui bat un peu trop fort.
Bientôt, je saurai penser à toi avec tendresse, sans larme au coin de l’œil. J’enfilerai les lunettes des projets futurs, et je les dessinerai avec plus de confiance. En attendant, j’écris des mots dans ma tête. Ce que j’aurais aimé leur dire. Ce que j’aimerais écrire ici. Ce qui vient panser mon cœur nostalgique.
C’est ta folie, dans laquelle j’ai aimé me lover. Tes rues comme des bras, dans lesquels s’enlacer et se reposer. Tu nous accueilles comme nous sommes : avec nos doutes, nos failles et nos grandes envies. Tu nous offres un terrain de jeu où l’on vit comme si on avait toujours 20 ans. Danser jusqu’au bout de la nuit. Regarder la lueur du petit matin pointer le bout de son nez dans tes rues vides de l’aurore. À vélo, descendre tes grandes artères, le vent dans les cheveux, le cœur infini. Nos yeux qui s’illuminent devant ton festival de feux d’artifice, réveillant nos âmes d’enfants. Tes dimanches après-midi deviennent des prétextes à se rassembler dans un parc, au bord du fleuve, pour sauter au rythme de la musique électronique.
Et tant d’autres possibles : vivre à quelques heures de grandes villes américaines, découvrir des lacs où louer des chalets, des stations de ski, des coins du Québec dont la beauté ne s’oublie jamais. Une vie impossible à enfermer dans une boîte. Tant tu nous propulses partout. Des possibilités infinies. Et cette question qui demeure : réussirais-je à tout faire ? À tout voir ? À tout vivre ?
J’ai tout aimé dans tes bras. Et si j’aime tant l’image que je vois aujourd’hui dans le miroir, c’est un peu grâce à toi. Là où Paris avait amorcé le travail, tu m’as permis de déployer mes ailes encore davantage. Volant au rythme des vents et de mes envies. J’ai découvert la part sociale de moi que j’aimais incarner, et ce besoin presque physique d’être au contact des autres, de partager la vie avec ceux qui l’aiment intensément. Au fil de tes mois, j’ai accepté de baisser la garde. D’être un peu moins la femme forte et indépendante que je prétendais être. D’embrasser ma sensibilité.
Évidemment, tu n’as pas toujours été de tout repos. Et une nouvelle fois, tu m’en as fait voir de toutes les couleurs. J’ai fait confiance trop vite. J’ai oublié que nous ne vivons pas tous avec la même intensité, et que cela ne convient pas à tout le monde. Mais tu as mis sur ma route des femmes, des hommes, des ami.e.s, des amours, qui ont pris soin de mes forces comme de mes failles. Qui ont pansé mes blessures. Tu m’as prouvé que peu importe notre âge, le chemin des rencontres n’est pas près de se terminer.
Mon cœur s’est brisé pour des amitiés terminées trop tôt, et pour des amours qui ne le seraient jamais. Mais il s’est aussi solidifié grâce à des relations qui traversent les frontières et les années. J'ai renoué, renforcé les liens avec des ami.e.s de toujours, ceux qui — peu importe les années ou les horizons — ne me lâcheront jamais. Montréal, tu m’as aussi offert de très belles rencontres, venues soigner les blessures amoureuses du passé. Par des actes de bienveillance et de tendresse, je me suis rappelée que moi aussi, j’y avais droit — là où j’ai longtemps cru que je ne le méritais peut-être pas.
Je reviendrai à Montréal
Dans la voiture pour l’aéroport, j’ai mis “Je reviendrai à Montréal” de Robert Charlebois. Je mentirais si je disais qu’en deux ans, j’ai développé une vraie culture musicale québécoise. Mais quelques passages au karaoké du Cobra m’ont permis de découvrir un ou deux classiques. Évidemment, c’était un bon moyen de plomber l’ambiance… Mais Christophe, Clara, Manon et Alice ont chanté avec moi ces paroles qui disent tout :
Je reviendrai à Montréal, Dans un grand Boeing bleu de mer, Je reviendrai à Montréal, Me marier avec l’hiver.
Avant Montréal, j’étais une journaliste lifestyle du 11e arrondissement de Paris. Pendant deux ans, j’ai été une Française du Plateau : celle qui va au Piknic Électronik le dimanche, celle qui travaille dans un média. J’ai aussi été celle qui a écrit un livre, celle qui court au Mont Royal. Mais au fond de moi, j’ai toujours été cette sudiste dont les angoisses se dissipent au bord de la mer. Celle qui n’aime pas vraiment le froid. On m’a souvent demandé ce que je faisais là, au creux de l’hiver à -25 degrés. “La vie !”, répondais-je. Si j’étais là, dans tes rues, Montréal, c’est parce qu’un soir de décembre 2021, mon ami Yahnis m’a montré des photos de ton Québec. Et je me suis dit que ce serait un bon moyen de changer de vie.
Je voulais voyager. Voir le monde. Mais j’avais peur. Peur du regard des autres quand tu leur annonces que tu veux une vie en dehors des cases. Peur de ne pas trouver de travail en indépendante. Peur de manquer d’argent. Peur de ce que partir veut réellement dire. Peur de perdre du temps. De faire ça trop tard. Peur d’être en retard sur l’autoroute de la vie d’adulte. Peur de ne pas suivre les itinéraires tout tracés que la société nous a toujours suggérés. J’avais peur d’avoir des rêves trop grands pour moi. Pour la vie que j’étais supposée avoir.
Et puis, en juin 2022, j’ai reçu un mail avec un drapeau du Canada. Et j’ai compris que la peur ne serait plus un frein. Elle serait mon carburant : celui qui pousse à avancer, à oser, à parler aux inconnus, à vivre des aventures. À fermer les yeux sur les schémas qui nourrissent les insomnies. À embrasser la vie, un jour à la fois. Et en m’accueillant, Montréal, tu m’as donné la confiance qui me manquait alors.
Aujourd’hui, mon cœur est meurtri de t’avoir quittée. De m’être éloignée de ceux qui étaient devenus ma maison — et qui le seront toujours un peu. Pourtant, j’ai en moi la confiance nécessaire pour savoir que c’était la chose à faire. Même si je me réveille à 4 h du matin, pleine de doutes et de crainte d’avoir, un jour, des regrets. Comme le soleil qui se couche chaque soir avant de se lever pour illuminer nos quotidiens, je devais te quitter. Pour mieux chercher. Pour mieux me trouver.
Montréal, merci.
Deux ans et trois mois, c’est peu à l’échelle d’une vie — mais dans la mienne, c’est tant. Et plus encore. Merci pour les roses. Merci pour les épines. Merci d’avoir été une maison parfaitement imparfaite. Et d’être, à jamais, une île dans laquelle me réfugier. Je reviendrai à Montréal dans un grand Boeing bleu de mer. En attendant, vivez la ville. Aimez-la. Pour moi.
Pour Alice, Manon, Christophe, Clara, Rosti, Elise, Yahnis, Éloïse, Manue, Thomas, Anaëlle, François, Joséphine, Lisa, Nell, Max, Anna, Alice, Claire, Benji, Victor, Robin, Guillaume, Farid, Clervie, Noémie, Violette, Ambre, Corentin, Amaury, Jeremy, Loïc, Ninon, Victoria, Mélodie, Nathan, Yohan, Simon, Chloé.
Ceux qui ont participé, un jour, un soir, autour d’une bière, plusieurs semaines, plusieurs mois. Ceux qui sont là depuis le premier jour, ceux qui m’ont accompagné, m’ont vu grandir, trouver ma place, ceux qui m’ont découvert récemment. Ceux avec qui j’ai pu danser, travailler, rire, vibrer, aimer. Tous les autres, ceux que j’oublie sans doute de citer, ceux qui n’ont fait que croiser mon chemin, comme ceux qui l’ont marqué. Merci ❤️
Merci pour ta lecture ! J’espère que tu as passé un bon moment.
Si ces mots t’ont plu, partage-les avec tes amis, tes dates, tes collègues, qui tu veux !
On se retrouve sur Instagram.
En 2023, j’ai écrit sur toutes les étapes de mon changement de vie. Quand j’ai décidé de partir à Montréal, ma démission, mon déménagement, mes premiers jours à Montréal… C’est dans les archives, et c’est beau, de se souvenir.
Tes mots toujours si justes et si vibrants font cogner le petit être qui est venu se nicher au creux de moi dans cette ville incroyable, et me rappellent que ce sera bientôt notre tour de quitter Montréal... Ce n'est pas un retour, c'est une nouvelle aventure à laquelle tu sauras donner mille couleurs. Courage 💛🌈 Elsa