Il m’aura donc fallu une longue semaine, pour réussir à mettre des mots sur les émotions qui me traversent. Ce qui est assez étonnant, pour quelqu’un qui passe la plupart de ses journées à écrire. J’ai l’impression d’être dans une espèce d’entre deux, une salle d’attente aseptisée.
Quand je suis partie en voyage seule à Bali, j’ai beaucoup entendu cette phrase “tu es courageuse, moi je n’oserais pas”. Quand j’ai annoncé ici et là, qu’en 2023 j’irai vivre à Montréal, ces mêmes mots ont résonné plusieurs fois. C’est étrange, jusqu’à présent, ça n’avait jamais été un terme pour me décrire. J’ai été la grande, la sympathique, la rigolote, l’amoureuse, la naïve, mais je n’étais pas la courageuse. Du moins, je ne m’étais jamais perçue comme telle.
J’ai donc décidé de tout quitter. C’est arrivé comme ça, un matin, sans crier gare. Et je me suis simplement dit “pourquoi pas”. J’avais tout un plan dans ma tête, avec des dates, des choses à faire, un cheminement mental à suivre, pour que ce changement se réalise en douceur. Pour ne pas perdre quelques plumes en cours de route. Mais comme d’habitude, les plans sont faits pour être défaits. Comme d’habitude, la vie n’en fait qu’à sa tête, sans suivre aucune carte. Il doit donc être revu, remanié, réimaginé.
Ce jeudi matin quand je suis entrée dans ma salle de bain, je me suis demandée pourquoi j’avais fait ça. Pourquoi diable, j’avais mis ma vie sens dessus dessous et pourquoi, j’avais décidé de tout envoyer valser. De tout reconsidérer. Assise sur mes toilettes, j’ai repensé à ce courage, dont tout le monde me semble capable. Le suis-je réellement, courageuse ? Car depuis une semaine, je n’en ai pas l’impression. J’ai simplement la sensation d’être une enfant perdue dans un univers de grands, qui ne sait plus comment mettre un pied devant l’autre et surtout, qui ne sait pas comment l’exprimer. Personne ne comprend et moi-même, j’ai du mal à comprendre mes émotions.
Pendant cinq ans et seize jours, j’ai emprunté le même ascenseur. Au début jusqu’au quatrième étage, ensuite le troisième. Durant quelques mois, j’ai pris les escaliers pour aller au premier, puis j’ai terminé mon aventure au troisième étage dans un nouvel open space aux fenêtres qui s’ouvrent. Je suis arrivée en 2017, j’avais alors presque 22 ans, des lunettes de vue, pas vraiment confiance en moi, ni en mon travail. J’étais en stage, je vivais dans le 15e avec mon ex, dans un 17m2 avec un chat. C’était clairement une période étrange, mais j’aimais prendre le bus tous les matins pour aller au bureau. J’écrivais pour la première fois sur les séries, les restaurants, la sexo. Je découvrais un tout nouvel univers et j’étais entourée de femmes bienveillantes. Quand ce stage a pris fin, on m’a proposé de rester en CDI pour écrire sur des magazines de décoration, de rénovation et de jardin. Ces deux derniers points, je n’y connaissais rien. Mais j’avais 22 ans et je signais un CDI pour être journaliste web à Paris. Tout dans cette phrase s’apparentait au rêve. Quatre ans auparavant, j’expliquais que je voulais faire ce métier et on me répétait que c’était un secteur bouché et que je ne trouverais jamais de travail. J’y étais, j’avais réussi.
Je n’y connaissais rien en rénovation. Ni en jardinage. Mais c’est bien la preuve, que l’apprentissage ne s’arrête jamais. Deux ans plus tard, je pouvais tenir une conversation sur les pompes à chaleur, l’aménagement des combles, le compost, la permaculture, les couleurs qui agrandissent une pièce, les VMC… Je me souviens de quelques nuits, où j’ai rêvé de tous ces mots tellement ils faisaient partie intégrante de mon quotidien. Et puis un jour d’octobre, j’ai saisi une opportunité, j’ai signalé mon envie d’écrire de nouveau pour la presse féminine, celle qui avait bercé mon adolescence.
J’ai découvert certains thèmes de la sexualité en lisant les pages de Biba depuis ma serviette sur la plage. A 15 ans, j’étais abonnée à BE, à Grazia, je faisais des pieds et des mains pour que mes parents acceptent de me payer Vogue. Je collectionnais les Glamour et les Cosmo. J’avais grandi avec ce papier glacé jamais loin, j’avais découpé ses pages pour les accrocher aux murs de ma chambre.
A la fin du premier confinement, j’ai enchaîné tous les changements possibles : quitter quelqu’un, déménager et changer de travail en interne. Je rejoignais enfin Grazia et Biba sur le lifestyle, j’allais écrire sur des sujets que j’aime : la bouffe, les voyages, les relations, la sexualité. Un an plus tard, je devenais responsable éditoriale de Biba. La gamine de 17 ans qui lançait le journal du lycée et écrivait dans la liste de ses objectifs de vie, qu’elle voulait être rédactrice en chef, souriait très fort. 25 ans, responsable, sans même savoir manager quiconque.
Pendant deux ans, j’ai travaillé sur des thématiques que j’adore. J’ai interviewé des acteurs, des humoristes, des auteurs. J’ai enregistré mes premiers podcasts. J’ai testé des hôtels incroyables, des restaurants exquis. J’ai rencontré tout un lot de personnes, répété les mêmes phrases inlassablement, présenté encore et encore mon travail. J’ai répondu au téléphone jusqu’à ne plus supporter la moindre sonnerie. J’ai reçu tellement de mails, que durant mes vacances à La Réunion, Outlook s’est bloqué, on ne pouvait plus m’en envoyer.
J’ai découvert le télétravail avec les confinements et j’y ai pris un peu goût. La ligne 9 a commencé à être de plus en plus longue et les journées, de plus en plus similaires. Et puis j’ai voulu partir. J’avais envie de voir ce qui m’attendait ailleurs, quelle était la suite de mes aventures.
Le dernier mercredi d’octobre, signait mon dernier jour dans un open space à la moquette grise, sur cette chaise noire à roulettes et face à cet immense ordinateur sur lequel j’ai dû taper un bon millier d’articles. Dans mon plan initial, tout ne se passait pas aussi rapidement.
Dans les faits, voilà plusieurs mois que je rêve d’avoir du temps. Je rêve de pouvoir me promener dans les rues de Paris, flâner dans les musées, aller chez mes parents, voir la Méditerranée un mardi après-midi, monter dans le train en plein milieu de la semaine, prendre mon temps comme jamais, l’enchaînement de la vie, ne le permet. Pourtant, la minute même où je me suis retrouvée face à ce temps infini, j’ai paniqué. Mais qui suis-je sans ce travail ? Qu’est-ce que je suis censée faire ?
Chambouler son quotidien, ça vient aussi chambouler toute une stabilité mentale. Dès les premiers jours, j’ai réalisé la place que prenait ce job dans mon existence. Pourtant, je suis de celles qui répètent sans cesse que la vie c’est bien plus que les heures que l’on passe dans un bureau, qu’il faut déconnecter, travailler pour se faire plaisir, et non vivre pour son travail… Me voilà donc, assise en tailleur sur mon canapé, à comprendre que cette expérience avait pris bien trop de place.
De toutes ces années dans la même entreprise, il restera beaucoup de choses. Il restera les fous rire à en avoir mal aux abdos. Les nouilles du japonais d’en face, bien trop grasses mais tellement réconfortantes. Toutes ces fois où Mathilde nous a tiré les cartes durant la pause dej. Le rire de Magali qui s’entend depuis l’autre bout du bâtiment. Cette fois où on a réalisé un concours des acteurs les plus beaux. Toute la bouffe qu’on a pu manger, des bûches de Noël aux galettes, en passant par les chocolats de Pâques, les glaces de l’été, et autres sucreries incroyables qui ont fait prendre du poids à tout le monde. Il y a aussi les pauses dans la cour, où les nerfs lâchaient un jour sur deux. Et il y a les relations qui se sont créées. Parce que c’est aussi ça cinq ans dans le même bâtiment, les rencontres qu’on y fait.
Je pensais sincèrement que j’allais partir comme je suis arrivée, légère. En réalité, j’ai franchi le pas de la porte avec un énorme poids sur le cœur. Ça fait donc ça, le changement, ça ressemble à ça. Sauter dans le vide, ce n’est pas que plaisant, c’est aussi… triste.
Le lendemain de mon dernier jour, je ne savais plus qui j’étais. D’accord, tu vas encore penser que je suis dramatique et tu as sans doute raison. C’était le premier jour du reste de ma vie. Ou plutôt, le premier jour de cette nouvelle étape de ma vie. Je me suis réveillée la tête à l’envers et ce n’était pas seulement dû aux quelques bières bues la veille. Je me sentais à côté de mes pompes, car je n’avais aucune idée de comment gérer à partir de ce moment-là. J’ai quitté mon travail après cinq ans et seize jours. C’est plus long que mes années collèges, que mon temps passé au lycée et presque aussi long que ma première histoire d’amour. J’ai l’impression que c’était une vie à part entière. J’ai la sensation qu’une nouvelle personne s’est réveillée. Suis-je un nouveau-né dans ce quotidien que je ne maîtrise pas encore ? Peut-être bien.
J’ai donc passé une semaine à valser entre les émotions. Je n’étais pas malheureuse, mais je n’étais pas franchement heureuse. Et à force d’y penser, d’écrire, de supprimer et d’écrire à nouveau, j’ai fini par mettre des mots là-dessus. J’ai peut-être un peu les chocottes.
Ça fait sacrément flipper. Ça fait méga maxi super peur de tout bouleverser, de quitter sa zone de confort, sa routine, une stabilité financière, son travail, l’entreprise dans laquelle on grandit depuis cinq ans. Quitter toutes les personnes qui forment notre quotidien, qui font notre paysage. Quitter ces visages amicaux, qui donnent un peu envie de se lever le lundi matin et de prendre cette atroce ligne 9. Ça fait peur et ça fait même un peu mal, mal au coeur, mal dans le ventre, mal dans la tête, parce qu’être une meuf courageuse et offrir un tournant étonnant à sa vie, c’est dire au revoir. D’abord à son travail, à ses collègues, à ses ami.e.s. C’est voir tout un chapitre se terminer.
C’est peut-être pour ça, finalement, que c’était aussi compliqué. Parce que ce n’est qu’un aperçu de tous les chapitres à fermer. De tous les au revoir qui auront lieu, au fil des prochains mois. C’est le travail, mais bientôt, ce sera l’appartement, les ami.e.s, la famille.
Je réalise alors qu’en fait, c’est vrai, oui, je suis courageuse. Je suis courageuse de choisir l’aventure, d’écouter mes envies, tout en sachant, que mon coeur va se briser. Encore, encore et encore. Mais on en sortira plus fort lui et moi. On en sortira plus grand, plus mûr, et on aura de belles histoires à raconter.
Si moi et ma difficulté à gérer mes émotions, on réussit à prendre cette décision, à tout changer, c’est bien la preuve que si tu le souhaites, toi aussi tu peux le faire. Le courage, peut-être que ça se crée, un pas après l’autre.
Bisous,
Lauréna
On avance toujours un pas après l’autre, l’important c’est d’arriver à la destination Bonheur. ❤️🥰