Il est 23h42 et c’est ma dernière nuit à Paris, chez moi, dans mon si bel appartement, celui où j’ai déployé mes ailes. Quand je reviendrai, dans quelques semaines, j’aurai deux valises et deux sacs et je m’apprêterai à prendre l’avion pour ce que j’aime appeler, la grande aventure. Je pourrais être mélancolique, nostalgique, être submergée par tout un tas de sentiments comme je sais si bien le faire. Mais rien de tout cela. Je suis alignée, ce soir, je me sens à ma place.
Elle est drôle cette expression, "être à sa place". Qu’est-ce que cela veut réellement dire ? Elle est où, notre place ? Comment on l’a choisi, comment on l’a défini ? Je me suis souvent posée la question, je me suis sentie à côté de mes pompes, en trop. Quelques fois, j'ai eu la sensation de passer à côté des choses qui comptent vraiment, de ne pas vivre suffisamment, de ne pas tout mettre en œuvre pour avoir une vie qui correspond à mes envies. Et puis un jour, tout s’aligne.
Lundi, j’ai dit au revoir à ma psy. Il était clair, depuis mon retour chez elle en décembre, que ce n’était que passager. Je n’avais pas envie de rouvrir des boites, de me plonger dans les failles de mon être. Je voulais simplement être accompagnée dans cette transition, avoir une oreille attentive à qui parler des changements de vie que j’opérais. Ce cycle, comme tous les autres, s’est alors terminé durant ce mois de février ensoleillé. En fermant la porte derrière moi, elle m’a lancé un dernier regard. Un coup d’œil fier, un sourire sincère et elle a prononcé ces quelques mots "je suis très heureuse pour vous". La veille, je me baladais dans la capitale avec un bon ami étranger. C’est le genre de rencontre qui te surprend, qui te fait te dire que tu es invincible et que le monde t’appartient. Alors que je lui parlais de mes plans, de Montréal, de mon aventure à venir, il m’a dit quelque chose comme : "je suis certain que tout se passera bien, on se connaît peu, mais je sais que tu as de la ressource, ça va être génial". Les mots, toujours, les mots.
J’y ai repensé. Au bonheur de ma psy Cécé, c’est son métier, pourtant, avec son écoute, elle a aidé une jeune femme pas toujours sûre d’elle, à avancer avec plus d’entrain sur ce chemin étonnant. À ceux de ce grand blond, qui étaient sincères et rassurants, tout ce que l’on mérite à quelques jours de quitter sa maison, pour s’en créer une nouvelle.
La semaine est passée, les meubles se sont vidés, le stress a fait quelques apparitions, mais toujours avec cette veilleuse éclairée qui rappelle, que c’est là la route que je devais prendre. Je suis à ma place.
J’ai annoncé à ma psy "peut-être que je vois des signes partout parce que j’ai envie de les voir". Elle a haussé les épaules. Après tout, qui peut certifier, ou non, l’existence exacte des signes et du destin ? Il n’empêche que, guider par la certitude que c’était le bon jour, j’ai choisi de réserver mon vol aller pour le 14 mars. Trois ans après le début du confinement. Ce même événement qui a chamboulé la croisière de vie dans laquelle je m’étais embarquée. Trois ans auparavant, en larmes dans ma cave, à l’aube de décider que je voulais tout bouleverser. À l’aube d’un confinement dont je n’ai aucun souvenir, si ce n’est la volonté de quitter l’autre pour me retrouver. Trois ans plus tard, je monterai dans un avion, pour réaliser un rêve, celui de me découvrir ailleurs, loin de mes repères, mais surtout de découvrir le reste, le monde, les autres, la vie.
En janvier 2017, j’arrivais dans cette immense ville en voiture avec ma mère. Un petit peu plus de six ans plus tard, je m’apprête à la quitter, la voiture a changé, mais pas son gabarit et ma mère est toujours là, pour me rassurer, m’écouter et me suivre dans mes extravagances. Six ans de toi et moi, Paris. J’étais une si petite chose il y a six ans. Et là, je me sens si… moi. Il n’y a plus de timidité, il n’y a plus de gêne, de peur de déranger. Il y a de la place. Il y a ma place.
C’est étrange de quitter quand on aime. Je n’arrête pas en ce moment. Je termine les cycles. J’ai mis fin à une jolie histoire, de celles qui ressemblent à un film et qui te donnent envie de devenir scénariste.
Et action ! La jeune fille remet une mèche derrière son oreille, il la regarde langoureusement. Ils quittent la terrasse et s’avancent un peu. Arrivés au feu rouge, ils s’arrêtent, elle frôle ses doigts à elles contre sa main à lui, elle sent son cœur tambouriner. Il la regarde en souriant, s’approche et dépose délicatement ses lèvres sur les siennes. Elle enroule ses mains autour de son cou. Le feu passe vert, aucun des deux ne semble s’y intéresser. Et couper !
Mais la vie ce n’est pas un film. Enfin, quelques fois ça y ressemble, mais seulement parce qu’on a envie de donner des airs de production hollywoodienne à son quotidien. J’ai donc conclu mes cycles, quitté alors que j’aimais. Et il y a quelque chose de poétique là-dedans. Tout n’est pas fait pour durer. Les relations, les professions, les maisons.
Dans quelques heures, je fermerai la porte de ma maison. Je remettrai les clefs et je suis ok avec ça. J’ai fait mon deuil. J’ai fait le deuil de ce passage verdoyant, de ce canapé rose dans lequel boire mon café. J’ai accepté qu’il y aura bientôt de nouveaux passages, un nouveau fauteuil où laisser aller mes pensées. De nouvelles rencontres et de nouveaux films à tourner dans ma tête.
Paris, je t’aime. Mais je te quitte. Merci d’être une ville qui ne dort jamais et qui sait m’empêcher de dormir chaque soir. Merci de m’avoir montré que j’avais ma place ici, moi, petite provinciale, qui n’a fait "que" l’université et dont l’accent s’est fait entendre pendant de longs mois, avant d’être gommé par les automatismes de la vie en ville. "T’as l’accent parisien", m’avait dit mon père au bout de quelques semaines. Pourtant, après quelques verres, on m’a toujours répété que mon accent chantant se faisait entendre.
Paris ville de l'amour, c’était beaucoup d’amour : celui qui fait mal, celui qui questionne, celui qui va trop vite et surtout, l’amour de soi. Une immense ville où quelques fois, on se sent seule. Seule au milieu de la foule, avant de petit à petit trouver sa place. Trouver sa foule et finalement, ne plus jamais vraiment l’être.
Ici, c'est un musée à ciel ouvert. C’est trop tout le temps, mais aussi si enivrant. Il y a toutes ces choses qui restent à faire, et toutes celles qui seront gravées à jamais. C’est un paysage auquel on s’habitue sans réellement le remarquer. C’est en me baladant avec cet ami étranger que j’ai réalisé à quel point c’était devenu acquit. La capitale, ses grandes avenues, ses vieilles pierres aux mille histoires. Et moi au milieu de tout ça.
Je traverse la place de la Bastille et je me souviens de ce date soldé par un pipi. Je longe les quais de la Rapée, que j'ai baptisé "mon jardin", lieu où j’ai découvert que j’étais capable de courir. Moi, celle qui n’aimait pas le sport, encore moins le footing, j'ai découvert par cette activité ingrate, que j’étais capable. De courir plus de 10 km, d’activer mon corps, et finalement, de beaucoup d’autres choses. Cette Tour Eiffel au loin, qui m’a mis plus d’une fois des étoiles dans les yeux et qui m’a fait me dire un soir d’automne, que les histoires, même courtes, même compliquées, valent le coup. Pour le souvenir, pour les émotions ressenties, pour les images qu’on en garde. Il y a ces musées, dans lesquels j’ai déambulé seule, accompagnée, toujours avec cette envie de me plonger dans l’art qui, dix ans plus tôt, ne me touchait pas le moins du monde. Ces rues que je connais par cœur, ces quartiers que j’ai arpentés à pied comme à vélo. Montmartre et ses marches qui n’ont jamais cessé de m’essouffler et de me faire pousser un "wahouh". Et puis, le 11e, la maison.
Ce quartier si cliché et si aimé. Ces commerçants qu’on voit tous les jours, avec qui on échange des sourires. Ces visages que l’on croise ici ou là, dont on imagine les histoires. Et ce sentiment, d’être chez soi, dans un lieu où aucune racine ne nous lie. Jusqu’au jour, où les racines, elles se créent, elles grandissent et j’ai compris, au fil des mois, qu’une fois qu’elles sont enfouies dans la terre, elles ne disparaissent plus jamais.
Paris partage, Paris divise. Il y a ceux qui l’aiment, ceux qui ne l’approchent pas, ceux qui viennent avant de très vite repartir, ceux qui restent, ceux qui fuient, ceux qui reviennent. Il y a tout, pourtant il manque tellement (le soleil, la mer, le calme entre autres). Il y a ce que l’on se crée, qui nous façonne, que l’on apporte dans nos bagages et qui ne nous quittera jamais. Paris, je suis arrivée il y a six ans, a fraîchement 21 ans, sans réel plan, sans savoir à quoi l’année allait ressembler. Des espoirs à revendre, des rêves qui me semblaient si loin, si dur à atteindre. Demain, je repartirai chargée, émotionnellement, dans mes cartons, dans mes valises. Chargée d’amour, de confiance, de souvenirs. De toutes les choses que la ville, la vie, les autres et surtout, moi, m’ont apporté au cours de ces six dernières années. Une expérience qui s’est mise en place crescendo et qui m'a offert des histoires à chérir encore et encore.
Je suis arrivée à deux, je repars seule, avec l’énergie d’une foule entière, de la ville, prête pour toutes les aventures qui m’attendent. Et avec la certitude, qu’ici, c’est chez moi. Peu importe les places, quelles que soient les rencontres, les opportunités, il y aura toujours un peu de Paris en moi et il y aura toujours un peu de moi, dans cette ville folle, immense, insensée, que j’ai aimé dès les premières secondes, au point d’en faire, ma maison.
Paris je t’aime, je te quitte, mais j’ai la certitude qu’on n'en a pas fini toutes les deux. À bientôt.
Bisous,
Lauréna
Le “chez-soi” n’est que le point de départ, pas le point d’arrivée. Et c’est peut-être précisément ce qui permet le courage de toute traversée : avoir d’abord connu quelque chose comme un “chez-soi”, où malgré les difficultés, on a pris soin de nous. (Être à sa place, Claire Marin)
Cette newsletter a été initialement publiée le 27 février 2023.
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