Je suis retournée chez la psy récemment. J’ai sincèrement cru que j’avais les épaules suffisamment solides pour gérer une démission, mon lancement en freelance et tout ce que cela impose, quitter ma maison et en créer une autre dans un pays loin du mien. Non, clairement, mon petit corps, même s'il est grand et qu’il fait du yoga régulièrement, ne peut pas tout gérer. Et c’est ok. Tant mieux, c’est bien d’en avoir conscience. Et après tout, Cécé pourra peut-être continuer d’aménager sa maison de campagne1 grâce à nos petits rendez-vous.
Donc voilà, j’ai refait quelques séances chez la psy et elle m’a dit “ça fait peur sa race et c’est ok”. Je me répète dorénavant cette phrase tous les jours comme un mantra : “Ça fait peur sa race, un peu de sauge, quelques respirations et ça repart”. En discutant avec elle, j’ai surtout réalisé que j’avais créé un nid au passage Rochebrune. Quand j’ai aménagé ici, après avoir vécu quatre ans dans une boîte trop étroite, aux côtés de quelqu’un qui ne voulait pas les mêmes choses que moi, j’en ai fait mon petit nid d’oiseau.
Aucune brindille n’a été utilisé, par contre de nombreuses fleurs séchées. Chaque mur a été recouvert de tableaux, de cartes postales ramenées de voyages, de photos d’amis. Les babioles forment un véritable musée. J’ai tout gardé ces deux dernières années. Le joueur du baby-foot ramassait dans la rue après une soirée entre copains, les mots d’amour de mes copines collées sur le miroir, des coquillages de La Réunion, du sud, de Bali… Quelques plantes, certaines que je transporte depuis Montpellier, d’autres que j’ai essayé de sauver. Elles ont grandi avec moi et se sont développées dans ce 25m2, elles ont fait de nouvelles feuilles et ont adopté l’espace pour en faire le leur. Comme moi.
Je ne devais pas faire de trou dans les murs, mais les étagères sur lesquelles empiler les livres, comme des remparts, étaient trop belles pour ne pas être placées. À côté du canapé comme du lit, les ouvrages prennent la poussière. Certains ont été lus, d’autres non, ils ont formé une forteresse, une protection contre l’extérieur. Quand il y a la tristesse, les poèmes de Rupi Kaur offerts par ma cousine après la rupture, ont toujours le don d’apaiser mon âme. Dans le salon, les livres féministes appellent le regard et posent le contexte. On sait chez qui on met les pieds.
Parlons-en d’ailleurs de mettre les pieds. Je me souviens de toutes les fois où un nouveau protagoniste a franchi le seuil de ma porte. Systématiquement, la même interrogation : “mais que va-t-il penser ?”. Après tout, ma vie toute entière recouvre cet espace. On y pénètre comme on entrerait dans ma tête : avec ses couleurs, ses fleurs, sa douceur, mais aussi ses tourments, son désordre, son besoin de posséder, de se souvenir, de conserver, avant que le temps n’efface.
Ma psy m’a annoncé : “quand l’oiseau grandit, il déploie ses ailes et s’envole. Ça fait peur d’apprendre à voler, mais c’est bien. Vous vous envolez.”. J’ai fermé les premiers cartons. J’adore les métaphores, Cécé l’a compris, c’est comme ça que je communique. Je joue avec les mots, pour ajouter de la poésie. J’ai fermé les premiers cartons et je réalise, encore un petit peu, à quel point changer de vie c’est audacieux, et absolument pas simple. Surtout quand on est seule.
Je repense à mes précédents déménagements. Les vrais, pas ceux en chambre universitaire, ça ne comptait pas vraiment. L’appartement de la rue Saint Maur, celui à côté de la fac de Montpellier, le studio de Convention et les premiers pas à Paris, la rue du Point du Jour. J’étais toujours accompagnée. Et puis le passage Rochebrune, comme une libération.
Alors les cartons, ça fait quoi ? C’est long. À quel moment je me suis dit que c’était une bonne idée d’accumuler autant d’affaires ? J’avais besoin de sept jeans Lévis, sérieusement ? Et ce chapeau que je n’ai pas porté les six dernières années, pourquoi je l’ai gardé ?
Il y a quelques semaines, j’ai dîné chez une copine. Sa décoration était très sobre, ça m’a fait sourire. Je suis habituée aux logements remplis : ma mère avec ses bibliothèques contenant des livres jusqu’au plafond, mon père et ses nombreux instruments de musique. Chez moi, la collection est un maitre mot. Quand on aime, on ne compte pas : les livres, les instruments, les photos… Dans l’appartement de cette copine donc, des murs blancs, très peu de superflus. J’ai pensé que cela devait être facile, pour faire la poussière. Mais je me suis aussi questionnée, sur ce que cela disait de nous.
Pourquoi mon intérieur est comme il est ? Est-ce que l’influence des logements de mes parents ont façonné ma perception des lieux ? Que se cache-t-il derrière cette collection de bouteilles de gin vides ? Derrières les photos accrochées sur le frigo, les souvenirs ramassés ici ou là, déposés méticuleusement dans la bibliothèque. Que veulent dire ces morceaux de vie, conservés comme de précieux trésors, des souvenirs à toucher, à sentir, que l’on finit par ne plus voir, tant ils font partie du panorama.
Je me suis construite un nid au quatrième étage. Un espace chaleureux, où chacun est le bienvenu. Il y a ici les habitudes, celles qui me rassurent, celles qui m’ancrent au présent. Il y a la routine qui me berce au fil des saisons : se réveiller, faire chauffer de l’eau, verser une cuillère de café. Sentir cette odeur qui réveille les sens, assise en tailleur, sous ce plaid tout doux, sur ce canapé rose. Ces images sur lesquelles poser mes yeux, quand le besoin d’apaisement se fait sentir. Cette enceinte à allumer, pour avoir de la compagnie, Taylor Swift, Ben Mazué ou la playlist Vava House, celle qui tournait en boucle quand j’ai déposé mes premiers cartons.
J’étais partagée à l’idée de les recommencer. Une nouvelle fois, remplir des boîtes d’objets, de vêtements, de vaisselles. Mais cette fois, sans savoir réellement quand je les rouvrirai pour la prochaine fois. Car c’est là toute la différence. En 2020, j’avais claqué une porte, pour en pousser une autre quelques kilomètres plus loin, dans un Paris vivant, dans un passage serein. Un lieu au parquet qui réchauffe le cœur, où déposer mes pensées, mes envies, mes souvenirs. Cette fois, les cartons vont rester fermés. Ils vont attendre paisiblement l’après, qui viendra quand il viendra, sans que je le sache déjà.
Dans Chez Soi, Mona Chollet fait une ode aux casaniers, aux attachés de la maison. Elle évoque ce foyer dans lequel on apprécie tant regarder la télévision en pyjama, s’enfermer pour se couper de l’extérieur, se protéger, reprendre des forces, se souvenir… “La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix.”, écrit-elle.
Même si fermer des boites, c’est un peu compliqué, je crois aussi que finalement, la maison, c’est ce qu’on en fait. Au passage Rochebrune comme ailleurs, il y aura toujours le café à boire le matin, comme un instant de méditation, un temps à soi pour émerger tranquillement et démarrer la journée. Il y aura toujours une enceinte pour diffuser cette musique qui me suit tous les jours, telle une amie imaginaire, toujours présente pour m’épauler, m’enlacer et me rassurer. Des photos seront déposées ici où là, peu importe la chambre, quelle que soit la ville ou le pays. Et de nouveaux éléments viendront habiller les étagères, se logeront aux côtés des livres, pour former mon paysage. Pour faire sortir les pensées de la tête et les déposer matériellement autour de moi.
Je fais partie de ceux qui sont rassurés par l’espace qui les habite. Ceux qui ont besoin de voir, de toucher, pour se rappeler, se dire “oui, c'est vrai, c’est vraiment arrivé”. La façon dont on habille nos murs, n’est peut-être pas si anodine. Elle est le reflet de nos murs intérieurs, ceux qui forment notre être, qui expriment notre expérience. Un nid d’oiseau dans lequel on se développe, jusqu’à prendre trop de place et donc, se créer un nouveau nid. Plus grand, plus lumineux, plus spacieux, pouvant recevoir d’autres oiseaux, pouvant accueillir de nouveaux instants de vie, mais toujours, à notre image.
La maison, elle se trouve dans les murs que l’on habite, mais pour toujours, elle se situe au fond de nous. Ma maison à moi, au bord de la mer, à la campagne, dans la ville, elle se (re)construira toujours, au rythme de mes envies, de mes inspirations et de mes trouvailles. Et ça me rassure, de savoir que quand je ferme un carton supplémentaire, d’autres s'ouvriront ailleurs.
Bisous,
Lauréna
Cette newsletter a été initialement publiée le 24 janvier 2023.
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En juillet 2022, je partageais mes impressions sur ma première thérapie.