Choisir, c’est choisir
Une ode aux choix, ces carrefours de vie qui bousculent, qui font peur, qui laissent derrière des bouts de nous.
“Choisir, c’est renoncer. Je ne sais pas ce que je dois faire.”
Nous sommes le 29 juin 2024. Je suis à Castelnaudary, dans le sud de la France, ville connue pour son cassoulet. Je suis assise à une table, dans une pièce sombre, à l’écart de la maison, face à une dame qui me tire les cartes du Tarot. C’est le mariage de mon amie Mathilde. Aujourd’hui, ce n’est pas elle qui me tire les cartes, comme elle me l’a si souvent fait lorsque nous travaillions ensemble, mais une voyante, engagée pour l’occasion.
“Non, choisir c’est choisir.”
Je la regarde timidement, comme si elle venait de mettre à nu mon âme. Lorsque l’on choisit d’emprunter une route, on tourne le dos à une autre et à tout ce qu’elle aurait pu représenter. C’est ce que je pensais : j’étais persuadée qu’en choisissant une vie, on renonçait à l’autre — celle qu’on aurait pu avoir, celle qu’on aurait pu créer.
Ma voyante du mois de juin poursuit : “En choisissant un chemin, tu ne renonces pas à un autre, puisqu’il n’a jamais existé. C’est seulement un fantasme, des envies. Mais dans le présent, ce n’est pas réel.”. Je ne renonce à rien : ce que je laisse derrière, ce n’est qu’une vie imaginée, un possible qui n’a jamais existé.
Choisir, c’est choisir
Il y a quelques mois, une de mes proches amies a démissionné, quitté Paris pour Rennes, et elle s’apprête à ouvrir une papeterie. En 2022, ma meilleure amie quittait Paris avec son partenaire pour devenir digital nomade et voyager dans les îles Canaries. Un an plus tard, ils emménageaient à Marseille, achetaient un appartement, adoptaient un chien. Ma cousine est partie en Nouvelle-Zélande en septembre, sans trop de plan, sans trop savoir. Au Mexique, j’ai rencontré des profs qui ont fait le choix de prendre une année pour voyager, sans savoir qui ils seraient un an plus tard, quelles seraient leurs envies, s’ils voudraient toujours de cette vie-là.
En juin 2022, j’ai décidé que neuf mois plus tard, je partirais vivre au Canada1. J’ai quitté mon job, et on m’a répété plus d’une fois : “Mais pourquoi ? Tu as un super poste.”. J’ai lâché l’appartement dans lequel je me sentais bien, qui était sans doute l’endroit où je me suis sentie le plus “chez moi”2 dans ma vie. J’ai quitté mes amis, mon quartier, une vie bien remplie. Et je suis partie.
Depuis, à chaque fois que je rentre en France, que je choisis de voyager ou de vivre à Montréal, j’ai le sentiment de quitter. Mes amis, ma famille, une autre vie. Partir, quitter, revenir, retrouver et recommencer.
Bientôt, c’est Montréal que je vais quitter. Mes amis, mon appartement, cette ville dans laquelle je me sens bien. Et alors que je marche à travers les rues, que j’observe les fleurs se déployer dans les arbres et le printemps s’installer enfin dans la ville, lui donnant ses couleurs que j’aime tant, je ne peux pas m’empêcher de repenser à la voyante de l’an dernier : choisir, c’est choisir.
“Ça fait peur sa race, mais c’est ok”
C’est ce que m’avait dit ma psy, quand je lui parlais de mon départ de Paris3. C’était difficile, d’imaginer une nouvelle vie dans un décor étranger. Tout m’était inconnu. Elle m’a rassurée sur la légitimité d’avoir peur, sur le fait que cela n’enlevait rien à la décision. J’ai compris, à ce moment-là, que toutes les grandes étapes de la vie font peur. Et finalement, cette boule au ventre, ces pensées incessantes de “Est-ce une bonne idée ? À quoi est-ce que je renonce ?”, ce sont juste les réponses aux questions qu’on se pose. Il faut foncer. C’est maintenant.
La peur, guide dans la nuit, devient une lumière à laquelle se raccrocher. C’est normal d’avoir la boule au ventre avant de sauter dans l’eau depuis un rocher. C’est normal d’avoir la boule au ventre avant de fermer ses cartons pour une nouvelle vie.
Choisir, c’est voyager
Sur le papier, les raisons de mon départ de Montréal sont simples : je n’ai plus de visa de travail. Mais dans les faits, la décision, mûrement réfléchie, est une nouvelle fois le fruit d’une seule et même envie : voyager. Le premier choix difficile — celui-là même qui a mené à cette vie — a eu lieu il y a cinq ans, quand j’ai décidé de quitter mon ex après une longue relation. Déjà là, je savais que choisir, c’était une sacrée étape.
Celui qui part (d’une relation, d’un job, d’un pays) a souvent le mauvais rôle : on pense innocemment qu’il part parce qu’il a rencontré quelqu’un d’autre, qu’il a trouvé un job mieux payé, qu’il part sans regret, sans remords, sans crainte. La réalité, c’est que la vie n’est ni noire ni blanche. Et que dans la fuite, il y a toute une ambivalence : on quitte par besoin, par nécessité, pour vivre mieux, pour soi — mais jamais sans une petite pointe de peine, d’amertume, d’anxiété.
Lorsque je pars, je me choisis moi, ma liberté, mes envies. Mais je quitte aussi beaucoup. Et ce départ ne laisse jamais insensible.
Partir sera difficile. Peu importe d’où et pourquoi.
Il y a, dans l’évasion, la fin d’une histoire. La fin d’un lieu qui nous a fait grandir. La fin de relations qu’on a nouées et qui nous ont portés. La fin d’un chapitre, que l’on a aimé écrire, et qu’il est temps de refermer. Mais pourquoi choisir le départ, quand on pourrait choisir de rester ? Pour ce que la suite pourrait être. Pour prendre le risque d’autre chose. Je réponds que je pars pour voyager, parce que j’ai le sentiment d’avoir fait le tour, et que j’ai envie d’autre chose. De plus. Ne pas se satisfaire et en vouloir toujours plus : voilà le carburant de mes cinq dernières années. Mais rien ne garantit que je trouverai ce “plus”. Ni le lieu. Ni les personnes capables de me retenir.
“Exister, c'est essentiellement accepter de devenir et de passer d'une peau à une autre. Laisser le temps passer sur nous, et en nous, pour glisser vers cet autre chose que nous sommes souvent déjà.” écrit Sophie Galabru dans Les dernières fois4.
Muer. Et devenir une autre personne, celle que nous sommes déjà.
Choisir d’aller voir ailleurs, au risque de se briser le cœur
Celui qui part, ne part jamais seul. Il emporte avec lui sa peine de laisser les autres, mais aussi les lieux, les paysages, qui ont formé son environnement pendant un jour, une semaine ou quelques années. Dans ses bagages, il emporte les sourires, les rires, la tendresse échangée. Les rencontres aussi, celles qui l’ont accompagné au rythme des saisons, et celles effacées comme un souffle par le retour du printemps.
Il glisse les souvenirs de cette vie-là, celle que l’on racontera le regard perdu vers l’horizon, celle dont on parlera avec émotion, avec joie comme avec un pincement au cœur. La vie qu’on a choisie d’aimer, et qu’on a également choisie de quitter.
Et puis, il restera les sens.
Le sirop d’érable aura à jamais le goût de Montréal et des pancakes du dimanche. Chaque lac renverra à ces chalets loués pour une escapade de fin de semaine, dans lesquels on adorait se réveiller et observer l’eau calme, sur la terrasse, un café à la main. Les bagels ne seront en aucun cas aussi bons que ceux de chez Saint-Viateur. Le pique-nique sera pour toujours un événement du dimanche après-midi, durant lequel la musique résonnait aux abords du fleuve Saint-Laurent.
“Je reviendrai à Montréal, dans un grand Boeing bleu de mer. J'ai besoin de revoir l'hiver et ses aurores boréales. J'ai besoin de cette lumière descendue droit du Labrador et qui fait neiger sur l'hiver des roses bleues, des roses d'or”, chante Robert Charlebois dans une chanson symbole de la nostalgie.
Seule l'effraction d'une lumière qui nous émeut, d'une odeur envoûtante, d'une langue que l'on a articulée quotidiennement ou d'un souvenir de joie éternelle peut décider notre corps à surmonter la fatalité d'un voyage sensuel et sans suite.”, souligne Sophie Galabru évoquant ces sens, qui nous renvoient à cette autre vie.
Récemment, j’ai dit à une amie : “J’aimerais avoir deux vies, pouvoir continuer celle que j’ai ici et en créer une autre ailleurs.”. Ce n’est pas possible. Ce printemps, lorsque je marche dans la ville, mon cœur se serre. Pourquoi partir ?
On peut partir par amour. Partir avant que ce soit trop. Avant d’être dégoûtée. Quitter la table le cœur encore chaud. La soirée avant le verre de trop. Avant ces journées trop longues qui donnent le cafard. Avant que le manque de la mer ne devienne insupportable. Avant que la relation ne devienne trop toxique. Savoir tirer sa révérence.
Et savoir aussi, qu’on se trompe rarement. J’étais triste de quitter Paris. Pourtant, je n’ai jamais regretté.
Le tic-tac du départ
Quand il est l’heure de partir, l’horloge interne sait se manifester.
Un ami doutait, se demandait s’il devait partir ou rester. Je crois qu’il arrive un jour où on sait. Où la question n’en est plus une. Où la réponse est déjà là. La voyante a continué son discours psychologique et m’a dit : “Vous savez déjà. Au fond de vous, vous avez déjà pris votre décision.”.
Il arrive un jour où on sait qu’il est temps de voir autre chose. De vivre une autre vie. D’essayer. De se tromper peut-être. Et d’oser surtout — toujours sans regret. Je n’ai jamais regretté aucune grande décision de vie : rompre, déménager, démissionner. J’ai regretté de ne pas avoir osé. D’avoir attendu trop longtemps. De m’être blessée à ne pas croire suffisamment en moi. Mais je n’ai jamais regretté de choisir.
Et c’est ça, qui adoucit les choix difficiles de la vie : savoir que c’est la bonne chose à faire. Malgré ces vies parallèles que l’on pourrait construire. Malgré ces lieux que l’on aime tant. Malgré ces individus dont on ne veut pas se séparer. Écouter cette petite voix. La laisser s’exprimer. Faire confiance à son intuition.
Vivre comme si c’était la deuxième fois
Quand je doute de ce choix, je repense à quelques phrases de Sophie Galabru dans Les dernières fois. Elle explique qu’il faudrait vivre comme si c’était la seconde fois. Enlever l’irréversibilité. Lorsque j’ai quitté Paris, j’étais persuadée que j’y retournerais. Je pensais qu’aujourd’hui même, je m’y serais réinstallée. Alors je sais que, peut-être un jour, je reviendrai à Montréal. Je ne sais pas quand, comment, dans quel contexte. Pour des vacances. Ou de manière plus définitive. Il est des lieux qui s’ancrent en nous, dont on ne se défait jamais vraiment. Et cette ville en fait partie.
Peut-être que je savais déjà. Peut-être que, comme me l’avait dit la voyante, la décision était prise depuis quelque temps, en silence. Je ne renonce à rien. Je choisis. Ici, j’ai eu la chance d’écrire une belle histoire. Aujourd’hui, il ne tient qu’à moi de la raconter — pour qu’elle revive à travers les mots. Comme une mélodie qu’on rejoue les yeux fermés, sans jamais s’en lasser.
Merci pour ta lecture ! J’espère que tu as passé un bon moment.
Si ces mots t’ont plu, partage-les avec tes amis, tes dates, tes collègues, qui tu veux !
On se retrouve sur Instagram.
J’en parlais avec beaucoup d’émotions juste ici
Et ça aussi, j’en ai parlé encore et encore
Nos dernières fois - Défier la nostalgie, de Sophie Galabru. Un parfait livre de philo accessible pour les nostlagiques comme moi qui ont besoin de faire la paix avec tout ce qui se rapporte à : la fin de quelque chose (ouin). C’était le bon moment pour le lire, ça ne fait aucun doute.
J’attends ton premier roman avec impatience… ton premier Fan ♥️
Elle est de retour 🫶🏻🫂
Et je suis hyper fière de toi. Pour cette vie et pour toutes les autres.
Ton instinct, c’est un super pouvoir. Ne laisse jamais la rationalité ou le confort tenter de lui dire chut.
❤️❤️❤️