Des films plein la tête
Grande réalisatrice primée aux Oscars dans la catégorie "Les films que je crée dans ma tête", je reviens sur cette tendance à imaginer des scénarios... qui ne se déroulent jamais comme prévu.
La première fois que j'ai imaginé mon mariage dans un vignoble avec un homme, je venais tout juste de fêter mes 25 ans. Cela faisait six mois que j'étais célibataire, six mois après six ans de vie, cela me semblait un temps correct pour m'inscrire sur les applications de rencontres et pourquoi pas, en faire une, de rencontre.
En couple, je n'ai jamais pensé au mariage. J'étais radicalement opposée à cette cérémonie, en colère d'être un enfant du divorce qui n'avait pas envie d'y croire et encore moins d'avoir une bague au doigt. Et puis, j'ai changé d'avis. Un jour, sans crier gare, j'ai eu envie d'y croire. J'ai regardé mes héroïnes de comédies romantiques préférées enfiler de belles robes blanches et moi aussi, j'ai voulu faire partie de ce film qui fait rêver tant de personnes à travers le monde.
J'avais 25 ans. Il venait de la même région que moi. À mesure que nous échangions des messages et faisions connaissance, un film commençait à se jouer dans ma tête. Je ne connaissais pas cet homme, je ne savais pas ce qu'il aimait déjeuner le dimanche matin, quelle était sa couleur préférée ou comment s'appelait sa première copine. Je n'avais aucune idée de comment nous pourrions régler un conflit, de s'il se serait bien entendu avec mes meilleures amies. Je ne connaissais de lui que ce qu'il avait bien voulu présenter sur cette application de rencontres et les quelques informations qu'il m'avait dévoilées lors de nos conversations écrites, en attendant notre rencontre. Je ne savais rien de lui et pourtant, à l'image d'une adolescente qui découvre les relations amoureuses pour la première fois, j'ai commencé à rêver. Armée de mon plus beau stylo, j'ai commencé à écrire le scénario de l'histoire d'amour que nous pourrions avoir. Pour le simple plaisir de fantasmer. Pour le simple plaisir, d'avoir un conte à se raconter avant de s'endormir.
Des histoires à dormir debout
Ma robe sera blanche, fluide, avec un grand décolleté. J'aurais un chignon déstructuré avec quelques mèches qui tomberont devant. Le mariage aura lieu dans un vignoble du sud, suffisamment grand pour accueillir tout le monde. Fin juin, quand le soleil brillera fort et que les cigales commenceront à chanter. Il y aura de la pizza – parce que j'adore ça – et ce ne sera pas chichi-pompon, ce sera chic, mais roots, à mon image.
C'est ce que j'ai décidé, un jour où je me suis perdue, une nouvelle fois, à imaginer ma vie à travers l'objectif d'une caméra. Sur la bande du film, tout est inscrit. Tout apparaît sauf un détail : la réalité.
La réalité, c'est qu'il faut être deux pour écrire une histoire. Qu'avant de vouloir épouser quelqu'un, j'ai envie de le connaître un minimum. Pourtant, même aujourd'hui, à 29 ans, il y a toujours des jours où tout ce que je veux, c'est la fuir, la réalité et me réfugier dans le rêve. La vie semble plus simple lorsque l'on s'assoit confortablement dans un fauteuil, devant un écran de cinéma.
Décernez-moi l'Oscars de la plus Delulu
Depuis ce premier homme rencontré sur Tinder six mois après ma rupture, j'ai conservé cette mauvaise habitude. Dès qu'ils cochent quelques cases, je ferme les yeux et je joue le scénario. Serait-on bien tous les deux, dans un vignoble, une robe blanche et un costume, sous le soleil estival ? J'ai pris le réflexe de parler d'eux en les appelant mon "mari", certains ami.e.s, ceux qui n'ont pas encore l'habitude, me reprennent toujours "tu vas un peu vite non ?". C'est une blague, et pourtant, elle n'est que le reflet de ma désillusion – mais il paraît que c'est tendance, d'être delulu.
Derrière ce terme, popularisé sur les réseaux sociaux, ces dernières années, se cache la désillusion de celles et ceux qui idéalisent leurs relations amoureuses. Vivre dans un film et refuser de voir la réalité de la situation : non, je ne me marierai pas dans un vignoble avec ce mec que je viens de rencontrer. Et en dehors du mariage (qui reste un exemple poussé à l'extrême, entendons-nous bien), peut-être qu'entretenir le film d'une relation avec un homme qui n'est pas prêt émotionnellement/qui vit à l'autre bout du monde/qui a clairement dit qu'il ne voulait pas être en couple/[insérer ici votre situation], n'est pas une bonne idée. Parmi les exemples proposés par Google sur le terme Delulu, je trouve : “Je suis convaincu(e) que je pourrais le faire tomber amoureux de moi si j'en avais l'occasion”. C'est évident que si ce match Tinder m'avait laissé une chance, on serait marié aujourd'hui (ahahahahah, bien sûr que non).
“Pourquoi est-ce que j'imagine toujours un avenir entier avec un gars que je viens de rencontrer ?”, c'est la question que s'est posé un utilisateur sur Reddit, il y a 8 ans.
Quatre ans après mon premier fantasme du mariage, je n'ai pas encore cessé de me faire des films dans ma tête comme si j'étais la digne héritière de Steven Spielberg. Sauf que mes films à moi n'incluent pas un extraterrestre sur un vélo volant ou des dinosaures prêts à en découdre (dommage). Ils incluent une femme se rapprochant de la trentaine, qui quelquefois, oublie un peu vite la réalité dans laquelle elle vit, mettant, encore une fois, trop d'envies et trop d'espoir, sur quelqu'un qu'elle vient tout juste de rencontrer.
Jouer les réalisatrices, c'est cadrer la réalité comme un film bien écrit, en coupant les scènes gênantes et en embellissant le scénario.
On peut blâmer l'esprit humain, qui va dessiner le partenaire idéal, nous faisant oublier qu'il ne s'agit que du fruit de notre imagination. Blâmer les séries, les films, la musique, l'art, l'histoire de ceux qui s'aiment depuis qu'ils sont au lycée, le monde entier finalement. On peut blâmer les amis que l'on entraîne dans ce scénario, qui nous aident à l’écrire, ou se blâmer soi-même d’être une nouvelle fois tombé dans le jeu du cinéaste. Projeter un fantasme sur cette personne en face de nous, qui pourrait bien répondre à nos attentes, mais oublier, surtout, qu'elle n'est pas un acteur auquel on offre un script à respecter, à apprendre par cœur et à recracher devant la caméra. Cette personne que l'on s'imagine, pour laquelle notre cœur commence à battre plus fort, qui occupe nos pensées avant de s'endormir… elle n'est pas réelle.
Un film qui ne verra jamais le jour
Si mes fantasmes de mariage sont anecdotiques, ils sont avant tout tortueux. Certaines fois, quand je fais une nouvelle rencontre, je me force à ne pas trop y penser. Je me répète “ne te fais pas de films, parce qu'à chaque fois que tu t'en fais, c'est inévitable, ils n'ont jamais lieu”. Pourtant, l'espoir est plus fort que tout, et vient alors nourrir les scénarios qui occupent mon esprit avant de rejoindre le pays des rêves - Père Castor, raconte-moi l'histoire de ton futur mariage. J'imagine nos retrouvailles, ce que l'on va se dire, ce que l'on va ressentir et puis, la réalité nous rattrape, puisqu'elle nous rattrape toujours. Elle n'est jamais fidèle au film, comme si les réalisateurs n'avaient pas eu le bon script et ne pouvaient pas tourner les scènes qui avaient initialement été pensées. C'est beau de se créer des films, jusqu'à ce que ça ne le soit plus. Je vis dans ta tête, tu vis dans la mienne, chacun imaginant son scénario, oubliant que dans la vie, il faut être deux pour écrire une histoire d’amour.
Que fait-on alors, lorsque le présent n'est pas fidèle à ce qui se passait dans notre esprit ? L'un des deux personnages prend ses jambes à son cou. Les scénaristes ont quitté la pièce, la caméra s’est éteinte. Le tournage est annulé, il a retiré son costume et j’ai perdu mon co-acteur. Sa présence, nos “peut-être”, ce que nous aurions pu vivre ou devenir. Les lumières se sont éteintes, il ne reste personne sur le plateau de tournage. Le silence a pris possession des lieux. Je tourne en rond, je fouille, je cherche à tâtons, dans le noir. Une fois la caméra éteinte et l'acteur principal parti, il ne reste rien. Aucun espoir, aucun épisode supplémentaire. Le film est annulé.
Parmi mes réponses préférées sur Reddit, il y a celle-ci : “Il semble que vous ayez un esprit créatif et que vous soyez un excellent écrivain. Si vous allez à l'université, suivez des cours d'écriture et vous découvrirez peut-être que vous êtes un génie.” Est-ce que les personnes qui dessinent des films sont des génies ? Du mal, sans doute. Faut-il rester delulu pour le plaisir de vivre des belles histoires dans sa tête, ou grimper dans le premier avion, direction “la réalité” et se souvenir, qu'une histoire, pour qu'elle ait lieu, doit sortir de notre écran et se jouer dans la vraie vie ?
Alors que faire, face à une vraie vie qui demande du courage ? Le courage d'oser, de tenter, au risque de se prendre un mur. Faut-il couper la caméra et affronter la réalité, ou continuer à rêver, juste un peu ? Je n'ai pas la réponse. Peut-être peut-on persévérer nos croyances encore un peu, tout en se rappelant que dans la vie réelle, ce qui compte, ce sont les personnes qui restent, même quand les caméras s'éteignent.
Merci pour ta lecture ! J’espère que tu as passé un bon moment.
Si ces mots t’ont plu, partage-les avec tes amis, tes dates, tes collègues, qui tu veux !
On se retrouve sur Instagram.
Mais quelle putain de queen d’admettre tout ça 💥
(J’en suis à mon 32ème mariage je pense, on est AL)
🤍
Delulu ici aussi 👋 je rêve de me marier depuis que je suis en âge de comprendre ce qu'est le mariage... 🥸